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Demain, tous polyglottes ?

Rédigé par Laetitia Theunis pour Studéo

Les traducteurs automatiques vont-ils tuer l’enseignement des langues ? Non, bien au contraire, il sera indispensable pour éviter les manipulations. Et devrait devenir plus holistique, comprenant des aspects culturels. 

Avant, pour demander un renseignement dans une contrée linguistiquement étrangère, il fallait connaître des rudiments de la langue locale ou maîtriser l’art de se faire comprendre par des gestes. Désormais, il suffit de parler à son téléphone portable, et une application de traduction automatique ré-exprime à haute voix les mots dans l’idiome local. La seule exigence est d’avoir une connexion à Internet. Et les zones qui en sont dénuées se réduisent à peau de chagrin sur la planète. 

Avec une telle facilité de traduction, même si elle est imparfaite, on peut s’interroger sur l’utilité de continuer à réviser ses colonnes de vocabulaire français-allemand, et à se tirer les cheveux pour intégrer les ressorts pervers des règles de grammaire. Mais pour Fanny Meunier, professeure à l’Institut langage et communication de l’UCLouvain, il ne fait nul doute que l’apprentissage des langues étrangères sera plus crucial demain qu’il ne l’a jamais été. 

« Alors que l’usage de cette technologie de traduction simultanée deviendra passive et accessible à tous, notamment aux plus jeunes dans les écoles, il faudra changer la façon d’enseigner les langues. A l’avenir, la place de l’enseignant sera différente, mais plus importante qu’aujourd’hui. Il lui faudra, bien sûr, travailler sur la motivation. Mais aussi inclure dans son cours les aspects culturels, interculturels, relationnels des langues, lesquels sont inconnus des machines. Il devra également enseigner à être attentif aux manipulations. En effet, si l’on n’a plus la capacité de savoir si ce qu’on nous traduit est correct ou non, on peut devenir des moutons. Il faut donc qu’on continue à enseigner les langues, mais aussi la perception critique pour voir si la traduction est correcte. Et pour se rendre compte qu’une traduction est correcte, il faut être très bon dans la langue en question. »  

« J’espère que les enfants du futur seront polyglottes. Dans le cadre d’une transition vers le plurilinguisme, avec l’aide des robots qui permet de ne pas devoir tout retenir, ils pourront s’appuyer sur les connaissances qu’ils auront de différentes langues pour s’aider à en comprendre une autre. »

La fréquence définit la norme

Et si l’intelligence artificielle bouleversait profondément une langue, voire en faisait émerger une nouvelle ? La question est moins bête qu’il y paraît. En effet, pour une IA, plus un mot revient souvent, plus il est considéré comme la norme. Dès lors, si l’usage erroné du couple conditionnel-imparfait (si je ferais ceci, je pouvais aller là-bas) se répandait massivement dans la population, il deviendrait, aux yeux de l’IA, la norme. Reléguant aux oubliettes, la formulation (si je faisais ceci, je pourrais aller là-bas) pourtant grammaticalement correcte.

Dès lors, faut-il craindre, dans un futur proche, d’assister au naufrage de l’orthographe, de la syntaxe, de la grammaire ? « Les langues ont toujours évolué. Et ce, même bien avant l’avènement des machines. Par exemple, en anglais, l’utilisation de « shall » (I shall/You will) a fortement diminué ces 20 dernières années, de sorte que cet auxiliaire du futur à la première personne est devenu désuet. S’il ne faut pas avoir trop peur des changements langagiers futurs, il faudra toutefois veiller à ne pas se laisser imposer une langue par l’intelligence artificielle et veiller à ce que l’humain reste bien au centre », explique Fanny Meunier.

Une reproduction des inégalités

Elle fait partie, avec des chercheurs de 52 pays, du réseau de recherche « Language in the Human-Machine Era ». Récemment, ils ont émis un document collectif reprenant leurs visions prospectives. Leur objectif est prévenir des impacts des technologies sur le langage et l’enseignement des langues.

« Si cette technologie de traduction est encore naissante, d’une fiabilité limitée, et confinée à une gamme de langues relativement restreinte et rentable, elle est promise à un développement massif dans les prochaines années. Elle quittera le support téléphonique pour intégrer lunettes et oreillettes intelligentes – actuellement en prototypage – qui diffuseront des informations et des images augmentées directement dans nos yeux et nos oreilles. Ces nouveaux appareils portables vont dissoudre la frontière entre technologie et conversation. Ils permettront de nouvelles façons de parler, de traduire, de se souvenir et d’apprendre. Mais les progrès technologiques reproduiront les inégalités existantes parmi ceux qui ne peuvent pas se permettre d’acheter ces appareils, parmi les plus petites langues du monde, et en particulier pour la langue des signes. » A noter toutefois que des traducteurs automatiques en langue des signes sont en cours de développement dans plusieurs pays. Si la tâche est ardue, elle ne serait pas impossible. 

Une IA de pointe pour une traduction précise

En haut du panier regroupant les traducteurs automatiques, il y a DeepL. Depuis son lancement en 2017, et grâce à la création d’une toute nouvelle génération de réseaux neuronaux d’intelligence artificielle, la plate-forme  s’est bien étoffée. De nouvelles langues sont venues se greffer au noyau linguistique de base. Français, anglais, japonais, chinois, russe, grec, suédois ou encore bulgare ou portugais, au total, des traductions dans 26 langues sont à portée de clics. Détail d’importance : DeepL est capable de transposer sans erreur les acronymes. ONU, dans un texte en français, devient UN dans sa traduction anglaise. Une véritable aubaine pour qui doit traduire des textes jalonnés d’acronymes. A cela s’ajoute une perception assez fine de l’usage du tutoiement ou du vouvoiement. DeepL, développé par DeepL GmbH, société allemande basée à Cologne, déjà à l’origine du moteur de recherche Linguee, spécialisé dans la recherche de traductions, annonce être 6 fois plus précis dans la traduction de textes anglais vers  l’allemand (et inversement) que le traducteur automatique de Google. Un même score est annoncé entre anglais et japonais. La plate-forme peut être visitée avec un navigateur web, que ce soit sur ordinateur ou téléphone. A noter qu’il existe un logiciel en version mobile (avec une application dédiée pour Android et iOS) qui rend son usage plus convivial et confortable. Il existe aussi un programme informatique DeepL pour Windows et Mac. Dans la version gratuite, les traductions sont limitées à 5000 caractères, et à 3 documents word ou pdf par mois.

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